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Message  Nah Sam 5 Oct - 20:51

Petit texte écrit à la main lors d'un séjour en Bretagne.

L'Inconnu

« Inconnu », parce qu’il ne sait pas qu’il existe. « Inconnu », parce qu’aujourd’hui, trop de distance nous sépare. Alors c’est mon Inconnu, à moi, rien qu’à moi. Un peu le vôtre aussi, bientôt.

Quatre ans, trois mois, et neuf jours que tu es parti. Et je…


Et je ne sais pas comment lui dire, comment lui écrire, quels mots choisir, pour qu’il sache combien il me manque, encore… Et l’océan qui gronde derrière mon épaule, avec ses harpies de vagues qui partent à l’assaut des rochers, leur sautent dessus, hargneuses, et les blessent d’écume, comme il a blessé mon cœur. Je pose mon stylo. Pourquoi lui qui est d’ordinaire fin musicien, chef d’orchestre grandiose et mélodieux, choisit justement l’instant où je me décide enfin, après quatre ans, trois mois, et neuf jours, à écrire cette maudite lettre, pour se mettre à rugir comme un dément ? Heureusement qu’il est plaisant à regarder, sa vue m’apaise un peu, mon cœur se calme, un peu, et je regarde cette feuille, blanche, qui me regarde, elle aussi, narquoise, sinon désespérément indifférente. Je reprends mon stylo. Il n’écrit plus. L’encre à sa pointe a séché, comme la larme qui avait perlé dans mes yeux à ces premiers mots. Savez-vous à quel point il est difficile d’écrire ainsi ?
Je reprends mon souffle, permettez, excusez.
On dit l’écriture salvatrice, exutoire, évidence, mais elle peut être aussi douloureuse, tortueuse et violence. Elle vide mon cœur et mon esprit mais en réclame le prix, elle draine, encore et encore, chirurgicale, l’énergie qu’il me restait, ce semblant d’insouciance qui cède à présent la place à une amer lucidité. Il me manque.

Quatre ans, trois mois, et neuf jours que tu es parti. Et j’ai mal. Mal de toi. Mal de vivre ici, de te savoir là-bas. Mal de n’être à mon tour plus qu’une Inconnue.


Car ce qui est valable dans un sens, l’est aussi dans l’autre. Je suis son Inconnue aujourd’hui, un drôle de statut, une drôle de place. Mais unique. C’est peut-être cela qui compte le plus, au fond, de se sentir unique, encore un peu, même quand il ne reste plus rien. Un rien qui ne soit pas rien. L’océan a cessé de crier, les vagues retombent, lascives, alors que le ciel encore gris se dégage, doucement, le soleil n’est pas loin, je le sens, monarque patient, à attendre le lever du rideau. Il m’est égal à moi, j’aime le gris ; j’aime la pluie. Pourvu qu’il ne pleuve pas tout de même, je dois continuer d’écrire.

Est-ce que le soleil brille chez toi ? Quelle voix remplace l’océan à l’instant où tu lis ces mots ? Le vent peut-être ? Le ronronnement d’un chat ? Le bruit sourd des voitures ? Quoi… ?


Et puis je l’imagine. Que pensera-t-il ? Que ressentira-t-il à ces premières lignes ? Je voudrais voir son visage, ses traits réagir ou non, sa bouche sourire, tristement, tendrement, ou pas… ? Aura-t-il le regard humide, les mains tremblantes ? Le souffle un peu plus court peut-être ? Ou bien rien ? Les filles sont compliquées, je vous l’accorde. Pas toutes non, pas toutes. Mais moi oui.
Un soupir, déjà il faut continuer d’écrire, l’amour n’attend pas, l’absence ne souffre aucun répit. Mais alors que je m’apprête à lui parler du temps qui passe, je le vois, insouciant, odieusement libre lui, d’une liberté légère et allègre qui écœure. Le papillon. Faut-il qu’il ait des couleurs ? Avoir des ailes ne lui suffit pas ? Allons bon, il n’a pas de couleurs, je ne veux pas qu’il en ait aujourd’hui. Cet idiot virevolte à côté de moi, il frôle l’herbe tendre et effleure mes jambes, le voilà qui monte et qui descend, qui se pose un instant puis repart dans un battement. Je l’envie, heureux qu’il est dans sa solitude, avec ses deux seules ailes pour étreinte, sans couleur aucune – je les lui ai volées. Comme si ces couleurs étaient celles qu’il m’avait lui-même volé, quatre ans plus tôt, comme si l’on pouvait reprendre, à tout moment, ce qui nous a été dérobé. Se réapproprier son monde, se réinventer, pourquoi diable cette métamorphose sonne-t-elle comme un sacrifice ? Tuer pour mieux renaître, détruire pour mieux reconstruire, quelle logique absurde. Pourtant, je souris. Je ris même, un peu, en silence. Le papillon s’est posé sur la table, à quelques centimètres de ma feuille. Il est bleu.
Et je lui raconte. Je lui raconte comment j’ai volé ses couleurs à un pauvre papillon.

J’en étais jalouse, de ce bleu trop bleu, de ses ailes trop libres, jalouse de ce qu’il a et que je n’ai plus. Vois-tu ce que tu as fait de moi ? Une voleuse de couleurs, une anti-papillon.


(Il sourira, j’en suis sûre)
Puis voilà qu’il faut entrer dans le vif du sujet, mais quel sujet ? Dans le fond, je n’ai rien à lui dire. Il est de ces ombres qui hantent, de celles dont on attend, l’oreille tendue, d’entendre la voix, mais qui ne parlent jamais ; de ces ombres muettes, de celles qui restent, qui apposent leur main sur vous et laissent leur empreinte dans votre chair. Tout est si clair tout à coup, si évident.
Je ne l’aime plus.
Absurde idée, étrange sensation, que de ne plus l’aimer. Est-ce bien possible ? Oui, oui ça l’est. C’est possible. Alors je continue d’écrire, mais c’est à son fantôme cette fois, au véritable Inconnu que j’écris.

Tu vois, aujourd’hui, je ne t’aime plus. Cette pensée m’est une caresse. Je ne t’aime plus.


« Je – ne – t’aime – plus. »
Je murmure ces quelques mots, l’air sans doute un peu béat, un sourire franc, un peu con, sur mes lèvres que le sel dessèche. Cela fait du bien de dire ces choses, de les sortir telles quelles. Je les crierais si je pouvais. Mais je ne suis pas seule dans le camping, alors c’est dans la solitude trouble de mon esprit que je hurle et que je ris. Et je reprends de plus bel.

Sais-tu à quel point c’est délicieux ? Peut-être suis-je même au bord de la jouissance. Je la sens qui monte, par vagues, cette douce jouissance. Je ne t’aime plus.


Et j’insiste sur la jouissance. Car j’aime ce mot. Il est impudique et personnel, violent et vaniteux, juste parfait. Cette jouissance me conforte dans l’idée que je ne l’oublierai jamais. Même si je ne l’aime plus, on n’oublie pas quelqu’un qui nous a fait jouir ainsi jusqu’au bout de tout, jusque dans le rien.

Mon Inconnu, mon tendre amant, je te l’envoie à présent ce papillon décoloré. J’en garde le bleu, je t’offre ses ailes. Car je suis libre maintenant, ne me manque plus que les saveurs.


Ces saveurs volées, envolées, qui, comme les hirondelles, n’aspirent plus désormais qu’à revenir.
Nah
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MacadAdo
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