Sol dièse

C’était durant ces nuits noires et glaciales lovées au creux de l’hiver que je l’entrevis la première fois. Je voguais éperdument dans mes pensées à quelques encablures de la raison lorsqu’un son sourd m’expédia hors de ma torpeur. J’avais plutôt l’impression d’avoir été projeté au cœur de mes inepties. En plein cintre de l’indicible abstraction dont j’étais la cible. Pourquoi donc la nuit est-elle si séduisante que je ne veux surtout pas dormir pour y rêver? J’arpentais les heures comme un vagabond de l’existence attendant pour je ne sais quelle raison les premières lueurs du jour. L’air mât de ma chambre pesait sur mes poumons mais je perçus une étincelle fine et difficile à distinguer dans les ténèbres environnantes. Était-ce un rayon qui finalement perçait jusqu’aux abîmes de cette petite pièce du sous-sol où je devais dormir mais où Morphée s’entêtait à m’ignorer tel un prétendant souffrant de la malédiction de la laideur? À la fenêtre, la noirceur profonde se donnait en spectacle uni sans l’ombre d’un motif ou d’un relief quelconque. Que pouvait donc être ce copeau d’éclair qui voguait dans ma chambre comme un brin de poussière possédé par le vent? Dans la nuit, j’ai l’instinct du respire et j’aime savourer les lampadaires, le lait émanant de la lune ou la suie plus opaque que le regard d’un aveugle. J’aime marcher dans les rues esseulées en direct du confort de ma grotte où je concocte mes rêves et leurs scénarios sur le canevas d’une page de candeur. Si la nuit me parle autant, c’est que je suis la nuit. Je suis la brunante à travers ma peau brillante dans la noirceur. Je suis le silence dans mon regard illuminé sous mes paupières éteintes. Je suis la suie du ciel dans mes pensées profondes où vivent des créations qui me sont inconnues. Je suis la lune dans ce monde d’ébène étincelant comme l’Éden d’une première rencontre avec l’extase. Je suis le crépuscule tapis dans les sujets tabous et les mentalités discordantes, je suis le demi-ton qui s’élève au-dessus des touches blanches de l’existence. Sur la partition, une noire exsude de sa mesure. Un Sol dièse dans un accord de Mi, là où tout est à l’unisson, ma nuit scintille comme les yeux d’un chat.

Mat

Beau texte chopé au vol de la nuit, la mienne. Et qui ne m'empêchera pas de dormir quand j'en aurai envie (mais ça ne sera pas pour tout de suite).

Dam, nuit noire nuit blanche.